Il fallait être très attentif le 16 octobre 2007 lors de la lecture du discours du trône « Un leadership fort, Un Canada meilleur » pour bien comprendre ce qui était sur le point de se produire. En effet, une phrase du discours disait : « Notre gouvernement rehaussera la protection des droits de propriété culturelle et intellectuelle au Canada, notamment par une réforme des droits d’auteur. » Il était clair que les conservateurs allaient tenter de réussir là où les libéraux avaient échoué en novembre 2005 avec le projet de loi C-60.

Bien que la réforme sur le droit d'auteur ne soit sans doute pas une préoccupation première pour la plupart des étudiants, c'est tout de même une question importante qui mérite notre attention. Les lois sur le droit d'auteur affectent les étudiants et les consommateurs en général de plusieurs façons; du montant qu'ils paient pour leurs documents de cours et leur matériel académique, jusqu'à la façon dont ils peuvent accéder à ce matériel via leur bibliothèque, en passant par la façon dont ils peuvent reproduire les documents dont ils ont besoin. Alors qu’il devait déposer le projet de loi le 11 décembre, le Ministre de l’Industrie Jim Prentice a fait volte-face et a plutôt opté de déposer son projet de loi ultérieurement. Il est bénéfique pour les étudiants que la réforme ait été reportée, mais si le projet de loi venait à passer, plusieurs points importants de la réforme pour les étudiants ne seraient pas abordés.

Avant d'examiner les conséquences néfastes du projet de loi proposé par Prentice, il faut comprendre que le droit d'auteur est présentement le principal sujet des lobbyistes sur la colline parlementaire. Il est sans surprise que la principale force derrière ce lobby soit l'industrie du divertissement américain et les milliards de dollars qu'elle génère annuellement. Cette dernière a, à maintes reprises, critiqué le laxisme canadien en matière de violation du droit d'auteur; allant jusqu'à dire que le Canada était l'une des principale source de divertissement piraté au monde! L'industrie du divertissement n'est pas la seule à mettre de la pression sur le gouvernement canadien. Le gouvernement américain ne se gène pas pour suggérer son modèle en matière de droit d'auteur aux leaders politiques canadiens.

Peu de détails sont disponibles au sujet du futur projet de loi. Ce qui en est connu est suffisant pour inquiéter, tant par ce qui figure au projet de loi que ce qui y est laissé de côté. Ce qui est inquiétant est que la rumeur veut que le projet de loi soit basé sur la controversée Digital Millenium Copyright Act américaine (DMCA). La DMCA prône la propriété du contenu avant l'usage équitable, avant la possibilité de créer des copies de sauvegarde et avant le respect de la vie privée par l'utilisation de mécanisme de Gestion des Droits Numériques (Digital Rights Management) (DRM ou GDN). Les systèmes de GDN sont des technologies qui limitent la façon dont les consommateurs peuvent utiliser les médias qu'ils se sont achetés. Elle stipule aussi que tout moyen utilisé et/ou toute tentative de circonscrire la protection numérique doit être considérée comme une violation du droit d'auteur. À ce sujet, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Jennifer Stoddart a émis des mises en garde contre l'utilisation de GDN. Selon elle, l'utilisation de GDN pour protéger le contenu n'est pas un risque en soit. Le problème précise-t-elle est que le GDN est souvent utilisé pour amasser des données personnelles à propos de l'utilisateur et de les retransmettre au titulaire du droit d'auteur ou au fournisseur du service et ce, sans que l'utilisateur ne soit au courant. On n'a qu'à penser à l'incident du rootkit Sony-BMG en 2005, alors que du code installé insidieusement par des disques de Sony Musique, lorsque les usagers les utilisaient dans leurs ordinateurs, rendait ces ordinateurs instables et vulnérables au piratage.

Le dernier point dont nous devons tenir en compte avant d'analyser les conséquences du projet de loi sur les étudiants, concerne les exceptions à la protection du droit d'auteur. Les exceptions américaines sont plus nombreuses et plus flexibles que les exceptions canadiennes et viennent, dans une certaine limite, amoindrir les conséquences du droit d'auteur. Par exemple, alors qu'aux États-Unis il est autorisé d'utiliser du matériel protégé à des fins éducatives, il n'en est pas ainsi au Canada. Malgré cette lacune de la législation canadienne, madame le juge Abella dans son jugement dissident dans l'arrêt Robertson c. Thomson Corp. (2006 SCC 43, [2006] A.C.S. 43) confirme que la protection de l'intérêt public est essentielle pour les professeurs et les étudiants.

Le projet de loi touche les étudiants de plusieurs façons. Premièrement, les articles contre le contournement de mesure technique ("anti-circumvention") restreindront sévèrement la façon dont les étudiants seront en mesure d'accéder et de reproduire le matériel académique sur Internet, ce qui limitera significativement l'accès à des documents du domaine public. De plus, puisqu'il n'y aura aucune protection pour les pratiques courantes telles que les décalages temporels ou les transferts de support et de format, les étudiants et les consommateurs en général seront sévèrement limités dans la façon dont ils pourront utiliser ou reproduire du matériel qu'ils ont légalement acheté. L'avènement des iPods a marqué la révolution de notre façon d'écouter de la musique et, plus récemment, de la façon dont nous regardons des vidéos via des appareils numériques. Imaginez quelques instants que vous venez de vous procurer le dernier disque de votre groupe préféré. Vous êtes anxieux de transférer ce disque sur votre iPod pour pouvoir l'amener avec vous en tout temps. Il est surprenant d'apprendre que ce genre de comportement est illégal au Canada. Il en est de même si vous voulez transférer les films DVD que vous avez achetés afin de les visionner sur votre iPod. Bien que toléré, il n'est pas non plus légal d'enregistrer une émission de télévision pour la réécouter à un moment plus convenable.

Lors de la dernière réforme de la Loi sur le Droit d'auteur en 1996, une disposition fût ajoutée afin de permettre les copies de sauvegarde des logiciels informatiques. Cette clause fut ajoutée en raison de la fragilité des mediums sur lesquels sont sauvegardés ces logiciels. Depuis 1996, les cédéroms qui sont aussi utilisés pour la musique et les films sont distribués sur un medium similaire, tout aussi fragile. Or, la loi actuelle ne permet pas les copies de sauvegarde de CDs musicaux ou de DVD. Encore plus choquant, le projet de loi reste silencieux à ce sujet. Il serait souhaitable que les consommateurs puissent faire des copies de sauvegarde des CDs de musique et des films sur DVD qu’ils se sont procurés.

Dans le contexte académique, l'arrêt CCH (2004 SCC 13, [2004] 1 S.C.R. 339) de la Cour Suprême vous permet d'utiliser des extraits de documents protégés par droit d'auteur dans vos travaux scolaires. Les amendements prévus par le projet de loi vous permettraient de faire de même si le document que vous utilisez provient d'un médium traditionnel non-électronique. Il serait cependant illégal de copier un document pris de l'Internet si ce dernier contient des mesures de protection des droits numériques. Dans un de ses récents discours, le professeur Michael Geist donnait l’exemple qu'il lui serait légal d'apporter en classe un photocopieur afin que ses étudiants puissent faire des copies d'un article, mais qu'il lui serait impossible de distribuer un document électronique de ce même article par courriel.

Cependant, tout n'est pas perdu. Au moment d'écrire ces lignes, le projet de loi n'est toujours pas déposé. Voici certaines choses que vous pouvez faire pour faire valoir vos droits (liste constituant une reproduction partielle des suggestions de Michael Geist):

  • Vous pouvez montrer votre mécontentement en joignant les quelques 40 400 membres du groupe Facebook Fair Copyright for Canada de Michael Geist. Ce groupe est en partie responsable du volte-face du Ministre Prentice en décembre dernier.
  • Vous pouvez vous renseigner sur ce sujet et renseigner vos proches. Une bonne façon de le faire est de consulter le vidéo produit par la Clinique d'Intérêt Public et de Politique d'Internet du Canada disponible sur ce site.
  • Vous pouvez aussi consulter les sites Internet suivants (en anglais) : www.michaelgeist.ca, www.onlinerights.ca, www.canadiancopyright.ca, www.intellectualprivacy.ca et le www.faircopyright.ca.
  • Achetez de la musique qui n'est pas protégée par des mécanismes de gestion des droits numériques (GDN).
  • En tant qu'étudiants, vous pouvez contacter la Fédération Canadienne des étudiants et leur laisser savoir à quel point la question du droit d'auteur est importante pour vous.
  • Surtout, vous devez écrire à votre député et lui laisser savoir votre mécontentement à ce sujet. N'oubliez pas que ce sont les députés qui représentent vos intérêts à la Chambre des communes.