CIPPIC c Sahni
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Introduction
La CIPPIC a déposé une demande devant la Cour fédérale visant à faire radier ou rectifier un enregistrement de droit d'auteur qui identifie un système d'intelligence artificielle (IA) comme coauteur. L'affaire Samuelson-Glushko Canadian Internet Policy and Public Interest Clinic (CIPPIC) c. Sahni (T-1717-24) soulève des questions fondamentales sur qui, ou quoi, peut être un auteur en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.
La CIPPIC a déposé cette demande, car la loi sur le droit d'auteur vise à protéger et à encourager la créativité humaine. En 2021, M. Sahni a obtenu un enregistrement de droit d'auteur pour une image générée à l'aide d'une application d'IA. L'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) a accordé l'enregistrement par le biais de son système automatisé, un processus qui n'implique aucun examen de fond quant à la qualité d'auteur, la titularité ou l'originalité. La CIPPIC estime que l'enregistrement crée un précédent trompeur qui porte atteinte à l'intégrité du régime de droit d'auteur et crée de l'incertitude pour les artistes et le public.
Cette demande aborde des questions fondamentales sur la qualité d'auteur et l'originalité qui sont au cœur de la finalité de la Loi sur le droit d'auteur. L'enjeu principal est de savoir si la protection du droit d'auteur devrait s'étendre à des résultats générés avec une intervention humaine minimale. La demande de la CIPPIC vise à obtenir les clarifications nécessaires sur ces questions et à obtenir la rectification du Registre pour garantir que ses inscriptions sont conformes à la Loi sur le droit d'auteur.
Faits
L'intimé, Ankit Sahni, a généré le résultat au cœur de cette affaire, SURYAST, à l'aide d'une application d'IA appelée « RAGHAV Artificial Intelligence Painting App » (RAGHAV AI). Pour initier le processus, M. Sahni a sélectionné trois données d'entrée :
a) une donnée d'entrée de contenu (une photographie originale d'un coucher de soleil prise par M. Sahni), b) une donnée d'entrée de style (le tableau de Vincent van Gogh La Nuit étoilée, qui est dans le domaine public), et c) une valeur variable pour déterminer le niveau de transfert de style à appliquer.
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RAGHAV AI a ensuite traité ces données d'entrée pour générer le résultat final (illustré ci-dessous).

Les « cas types juridiques »
M. Sahni qualifie ses efforts pour enregistrer l'œuvre SURYAST dans diverses juridictions de « cas types juridiques ». Il a demandé l'enregistrement du droit d'auteur dans plusieurs pays avec des résultats mitigés :
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États-Unis : La Commission d'examen du droit d'auteur des États-Unis (United States Copyright Review Board) a refusé d'accorder l'enregistrement du droit d'auteur pour l'œuvre, concluant qu'elle est « dépourvue de la qualité d'auteur humain nécessaire pour justifier une réclamation de droit d'auteur ».
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Inde : Le Bureau du droit d'auteur de l'Inde (Indian Copyright Office) a initialement accordé un enregistrement désignant M. Sahni et RAGHAV AI comme coauteurs, mais a par la suite émis un avis de retrait.
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Canada : Le 1er décembre 2021, l'OPIC a délivré le numéro d'enregistrement 1188619 pour l'œuvre SURYAST, désignant M. Sahni et RAGHAV AI comme coauteurs.
Enregistrement au Canada
L'OPIC (Office de la propriété intellectuelle du Canada) a accordé l'enregistrement de SURYAST par le biais de son système en ligne automatisé. L'OPIC a déclaré qu'il « ne vérifie pas la titularité, ni aucun autre renseignement fourni sur le formulaire de demande » et que, pour les demandes en ligne, son système génère des certificats d'enregistrement instantanément.
La CIPPIC a soulevé à plusieurs reprises des préoccupations auprès de l'OPIC au sujet de cet enregistrement. L'OPIC a confirmé qu'il ne modifierait pas le registre et a conseillé à la CIPPIC de consulter un conseiller juridique et de porter l'affaire devant les tribunaux.
La demande de la CIPPIC
La CIPPIC défend trois arguments principaux :
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Qualité pour agir : La CIPPIC a la qualité pour agir en tant que « personne intéressée » en vertu de la Loi sur le droit d'auteur et pour des motifs d'intérêt public. Ce terme devrait être interprété de manière large pour permettre aux organisations d'intérêt public d'assurer l'exactitude du registre, en particulier lorsqu'aucune partie privée n'est en mesure de contester un enregistrement invalide ayant de vastes implications systémiques.
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Originalité et qualité d'auteur humain : SURYAST n'est pas « originale », ce qui requiert l'exercice de « talent et de jugement ». Un système d'IA est incapable d'exercer ces facultés humaines; son processus est purement computationnel. La contribution de M. Sahni était un acte trivial et mécanique de sélection de données d'entrée, ce qui n'est pas suffisant pour atteindre le seuil d'originalité requis pour la protection par le droit d'auteur.
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Qualité d'auteur de l'IA : SURYAST n'est pas protégeable par le droit d'auteur, car l'œuvre n'a pas d'auteur. La Cour d'appel fédérale a confirmé qu'un auteur doit être un être humain, et l'ensemble du cadre de la Loi sur le droit d'auteur est fondé sur cette prémisse. M. Sahni n'est pas l'auteur, car il n'a fourni qu'une idée non protégeable, tandis que le système d'IA était seul responsable de la génération de la forme expressive finale de l'œuvre.
La position de M. Sahni
M. Sahni soutient ce qui suit :
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Validité : M. Sahni ne prend pas position sur la qualité de la CIPPIC pour déposer la demande. Il soutient que l'examen de la Cour devrait se limiter à la décision du registraire de délivrer le certificat, qu'il estime valide et exact. L'enregistrement identifie correctement lui-même et RAGHAV AI comme coauteurs afin de refléter honnêtement la manière dont SURYAST a été créée.
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Co-paternité et contributions uniques : M. Sahni et RAGHAV AI sont tous deux dûment des auteurs, car ils ont chacun apporté des contributions essentielles et uniques à SURYAST. M. Sahni a exercé son talent et son jugement en prenant la photographie d'entrée avec une intention artistique spécifique. La contribution de RAGHAV AI était une interprétation distincte et indépendante de ces données d'entrée, exerçant ses propres capacités pour appliquer les couleurs, les coups de pinceau et d'autres caractéristiques.
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Droit d'auteur dans les œuvres assistées par IA : La Loi sur le droit d'auteur n'interdit pas la participation de l'IA à la création d'une œuvre protégée par le droit d'auteur. M. Sahni soutient que, puisque la Loi reconnaît des « réalisateurs » non humains pour les œuvres cinématographiques, la qualité d'auteur n'est pas strictement limitée aux personnes physiques. Il fait valoir que la protection des œuvres créées avec l'assistance de l'IA encourage l'innovation, ce qui correspond à l'objectif fondamental de la loi sur le droit d'auteur.
État du dossier
L'affaire progresse. Les parties attendent actuellement que la Cour fixe une date d'audience.
Il y a une motion en instance pour intervenir de l'Association canadienne des éditeurs de musique (Canadian Music Publishers Association), à laquelle les parties ne s'opposent pas.



