De la préservation à la restauration : comment les biotechnologies émergentes peuvent renforcer la conservation
- Kristen Neudorf
- il y a 5 heures
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L’humanité fait face à une crise de la biodiversité sans précédent : notre sixième extinction de masse. Seulement cette fois, elle n’est pas causée par des forces naturelles, mais par des actions humaines telles que la destruction des habitats, la pollution, les espèces envahissantes, la surexploitation et les changements climatiques. Les taux d’extinction dépassent désormais de 1 000 à 10 000 fois les taux naturels, et les populations d’espèces à travers la planète s’effondrent à un rythme alarmant.
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) rapporte un déclin mondial moyen de 69 % des populations surveillées de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons entre 1970 et 2022, et un déclin encore plus marqué de 73 % au Canada entre 1970 et 2020. Les espèces et les écosystèmes d’eau douce ont été particulièrement touchés, chutant de 85 % depuis 1970. Cette perte accélérée menace les systèmes écologiques essentiels à la survie humaine : la stabilité du climat, la production alimentaire et la sécurité de l’eau douce. Pourtant, les lois environnementales canadiennes demeurent inutilisées et réactives plutôt que préventives ou restauratrices, échouant à protéger la biodiversité et à prévenir son déclin. La société a fait preuve de négligence et les efforts de conservation actuels sont insuffisants. Nous devons innover au-delà des méthodes de conservation traditionnelles. La biotechnologie, bien que controversée, offre un outil ayant le potentiel de favoriser la restauration de la biodiversité à grande échelle et la résilience des écosystèmes.
Il ne s’agit pas ici de plaider pour le solutionnisme technologique. La biotechnologie n’est pas une solution universelle et ne peut remplacer les mesures de conservation fondamentales telles que la création d’aires protégées, la prévention de la pollution et la protection des espèces en voie de disparition. Ce qu’elle peut faire, c’est soutenir et accélérer la restauration lorsqu’elle est utilisée de manière sécuritaire, transparente et avec une surveillance rigoureuse. En ce sens, la biotechnologie devrait compléter, et non remplacer, une législation efficace et les outils de conservation traditionnels.
Le cadre législatif actuel
Le Canada ne possède pas de loi unique sur la biodiversité. Le Canada réglemente plutôt la biodiversité par le biais d’accords internationaux, de stratégies nationales et d’une combinaison de lois fédérales et provinciales qui régissent l’environnement en fonction de leurs pouvoirs constitutionnels respectifs.
Lois fédérales : la LEP, la LCPE et la Loi sur les pêches
Le Canada dispose d’outils juridiques fédéraux robustes. La Loi sur les espèces en péril (LEP) de 2002 vise à empêcher la disparition (de la planète ou du pays) des espèces en péril, à éviter que la biodiversité et les habitats essentiels ne subissent d’autres dommages ou déclins, et à permettre leur rétablissement. La Loi sur les pêches de 1985 vise à protéger les espèces de poissons, les mammifères marins et leur habitat en se concentrant sur la gestion et le contrôle approprié des ressources halieutiques et la prévention de la pollution aquatique. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (LCPE) établit un cadre solide pour le développement durable et la protection de l’environnement par la gestion des risques et la prévention de la pollution par les substances toxiques (substances nocives pour les écosystèmes ou la vie). La LCPE est la seule loi environnementale au Canada qui traite explicitement de la biotechnologie en réglementant les organismes vivants créés par la biotechnologie et en exigeant que le gouvernement veille à « l’utilisation sécuritaire et efficace de la biotechnologie » (al. 2(1)j.1)), mais elle ne précise pas comment et se concentre principalement sur la réglementation de l’évaluation.
L’application responsable de ces outils législatifs par des mécanismes comme les décrets d’urgence et les poursuites peut mener à des améliorations significatives des résultats en matière de biodiversité. Toutefois, dans la pratique, les décrets d’urgence tardifs, le sous-financement chronique et les délais procéduraux minent leur efficacité. La prudence politique se traduit par une mise en œuvre inégale.
De même, les stratégies nationales sur la nature inspirées par les accords internationaux ont historiquement échoué à atteindre leurs objectifs. Le Canada a eu du mal à respecter ces engagements, y compris l’atteinte des Objectifs d’Aichi pour la biodiversité. En 2024, le gouvernement fédéral a publié la version finale de sa Stratégie pour la nature 2030, décrivant l’objectif ambitieux de conserver 30 % des terres et des océans pour la biodiversité et de restaurer les écosystèmes dégradés en six ans. Cependant, les progrès tangibles restent limités. À la fin de 2024, les données d’Environnement et Changement climatique Canada montraient que le Canada protégeait moins de 14 % des terres et des eaux canadiennes à des fins de conservation. L’approbation continue de grands projets industriels et d’exploitation des ressources continue d’éroder ces efforts, révélant un écart persistant entre les aspirations environnementales du Canada et son exécution pratique.
Biotechnologie et biotechnologie restauratrice : comment peuvent-elles aider la conservation?
La biotechnologie moderne peut combler cet écart. La biotechnologie implique l’utilisation d’organismes vivants ou de leurs composants – qu’ils soient naturels ou modifiés – pour créer, améliorer ou optimiser des matériaux, des processus et des technologies. Elle comprend des méthodes comme le génie génétique, la fermentation et la biologie synthétique pour faire progresser la médecine, l’agriculture, la durabilité environnementale et l’industrie. Ce commentaire se concentre sur la conservation, la biotechnologie restauratrice et les applications de la biotechnologie qui soutiennent la conservation de la biodiversité. Contrairement à la biotechnologie agricole ou pharmaceutique, ce domaine vise à restaurer les écosystèmes, à améliorer la diversité génétique et à renforcer la résilience des espèces face aux changements environnementaux. Il englobe des techniques telles que : le sauvetage génomique, la cryoconservation, les microbes modifiés pour le nettoyage de la pollution, l’édition génique pour l’adaptation et la biologie synthétique pour le rétablissement des écosystèmes.
La biotechnologie offre des solutions transformatrices à certains des défis environnementaux les plus pressants de la planète en améliorant la résilience des écosystèmes, en gérant les espèces envahissantes et en protégeant la faune en danger. Grâce au génie génétique, les chercheurs peuvent restaurer des espèces clés de voûte comme le châtaignier d’Amérique en introduisant une résistance à la brûlure, ou contrôler les rats envahissants et protéger les populations d’oiseaux marins à l’aide de séquences d’ADN modifiées appelées forçage génétique (gene drives).
La reproduction assistée et les techniques de cryoconservation font revivre des espèces au bord de l’extinction, telles que le putois d’Amérique, le cheval de Przewalski et certaines espèces de coraux. En 2025, les programmes d’« évolution assistée » des coraux menés par l’AIMS et la NOAA connaissent du succès grâce à la reproduction sélective et croisée pour la tolérance à la chaleur, avec des coraux cornes d’élan transplantés montrant des résultats prometteurs dans la restauration des récifs endommagés par le blanchiment.
Parallèlement, des chercheurs à Vancouver, Waterloo et Hawaï font progresser des méthodes biotechnologiques pour combattre la pollution plastique en utilisant des bactéries et des champignons marins capables de dégrader des matériaux nocifs comme les phtalates, le PET et le polyuréthane, ouvrant la voie à un avenir plus propre et plus durable.
Proposition de réforme
Le Parlement doit prendre des mesures législatives. La LCPE nécessite des amendements pour aborder les biotechnologies émergentes et assurer une réglementation environnementale plus sûre. Ses définitions, telles que celles relatives aux « micro-organismes » et aux entités « animées », doivent être mises à jour pour refléter les avancées en génie génétique. L’accessibilité croissante de la biotechnologie amateur (DIY biotechnology) permet désormais au public de créer de nouveaux organismes sans surveillance significative. Les lacunes réglementaires actuelles comprennent l’absence de normes de confinement, de pouvoir de signalement des incidents et de directives claires pour les scientifiques amateurs qui sont souvent inconscients de leurs obligations légales en vertu du Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (organismes) et de la LCPE. Bien que le processus d’évaluation des risques de la LCPE puisse imposer des conditions aux organismes potentiellement toxiques, il n’existe aucune surveillance post-libération sur la santé ou l’impact environnemental de l’organisme. Le cadre ne s’adapte pas aux changements des conditions environnementales ou climatiques qui pourraient modifier le profil de risque d’un organisme.
Parallèlement, le Canada devrait modifier la LEP et la Loi sur les pêches pour y inclure la biotechnologie restauratrice et les activités de restauration génétique, renforcer la planification du rétablissement et les garde-fous, et intégrer de nouveaux mécanismes de permis et de surveillance. Le renforcement de ces lois pour inclure des définitions élargies, des normes de contrôle de la qualité, des exigences obligatoires de confinement et de signalement des incidents, ainsi qu’une surveillance à long terme des nouveaux organismes vivants, est essentiel pour protéger les écosystèmes et assurer une innovation responsable.
Conclusion
Le Canada ne peut répondre à l’ampleur de la crise de la biodiversité avec des lois désuètes et réactives. Le renforcement de la LCPE, de la LEP et de la Loi sur les pêches – entre autres – permettrait au Canada de réglementer les biotechnologies émergentes de manière responsable tout en permettant leur utilisation dans la conservation et le rétablissement des écosystèmes. Avec des garde-fous clairs et une surveillance à long terme, la biotechnologie peut devenir un outil soigneusement gouverné qui complète les mesures de conservation traditionnelles et aide à reconstruire la biodiversité déclinante du Canada.
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de politique de la CIPPIC.






