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La découverte de médicaments propulsée par l'IA peut-elle être brevetée au Canada?

  • Vera Bi
  • il y a 8 heures
  • 5 min de lecture

L’IA transforme la découverte de médicaments et redéfinit l’innovation

Parfois, c’est vraiment le voyage, et non la destination, qui compte. Cette idée résume bien le débat actuel sur la brevetabilité de la découverte de médicaments assistée par l’intelligence artificielle (IA), où la méthode elle-même, plutôt que la molécule finale, peut détenir la véritable valeur. Isomorphic Labs, une filiale d’Alphabet, en est un bon exemple. L’entreprise a transformé la façon dont les médicaments sont découverts. Elle a mis sur pied un processus de découverte intégré et piloté par l’IA qui rassemble des données biologiques et chimiques, entraîne des modèles pour identifier des molécules prometteuses et laisse l’IA proposer ce qu’il faut fabriquer ou tester ensuite. Chaque série d’expériences réinjecte de nouvelles données dans le système, affinant le modèle et améliorant la préparation préclinique.

 

Le processus d’Isomorphic Labs a suscité une vive attention de l’industrie et attiré des capitaux importants. En janvier 2024, Isomorphic Labs a signé deux collaborations de découverte avec Eli Lilly and Company et Novartis, d’une valeur potentielle de près de 3 milliards de dollars américains si les étapes jalons sont atteintes. En mars 2025, l’entreprise a levé 600 millions de dollars américains pour faire avancer ses programmes conçus par l’IA vers des études de première administration chez l’humain. Dès juillet 2025, Fortune et Fast Company rapportaient déjà qu’Isomorphic Labs se préparait à commencer les essais cliniques sur des humains avant la fin de l’année.

 

Les candidats-médicaments sont précieux, mais la manière dont Isomorphic Labs les trouve pourrait offrir de plus grandes richesses. Un rival copiant cette méthodologie pourrait lancer le même moteur de découverte et éviter des années d’essais et d’erreurs. Cette possibilité soulève la question suivante : le droit des brevets peut-il protéger le processus de découverte de médicaments piloté par l’IA lui-même?

 

La brevetabilité dépend de l’invention, et non de qui l’a inventée

La découverte de médicaments propulsée par l’IA est, d’abord et avant tout, une question d’invention et non de qualité d’inventeur. L’analyse de la brevetabilité vise à déterminer si le processus revendiqué, piloté par l’IA, correspond à la définition de l’article 2 de la Loi sur les brevets : soit une « réalisation, un procédé, une machine, une fabrication ou une composition de matières […] nouveau et utile ». Elle demande également si les revendications divulguent un processus technique concret et reproductible plutôt qu’un « simple principe scientifique ou une conception théorique abstraite » en vertu du paragraphe 27(8). En utilisant l’interprétation téléologique, la clé est d’identifier ce que les revendications protègent réellement. Dans le contexte de la recherche assistée par l’IA, le « principe scientifique ou la conception théorique abstraite » prend souvent la forme d’un algorithme ou d’un modèle. Le test consiste donc à savoir si le processus applique cet algorithme de manière concrète pour produire un résultat technique spécifique, ou s’il décrit simplement une idée informatique abstraite.

 

En revanche, la question de savoir si une demande de brevet peut désigner une IA comme inventeur est une question distincte et plus étroite. Le droit canadien actuel, y compris la décision Thaler, Stephen L. (Re), 2025 CACP 8 rendue par la Commission d’appel des brevets, ne reconnaît que les personnes physiques comme inventeurs; un système d’IA n’est donc pas admissible. Cela n’interdit pas pour autant les inventions assistées par l’IA. Si un humain apporte une contribution importante au concept inventif, comme la conception du flux de travail de l’IA, la définition du problème ou l’interprétation des résultats du modèle, la demande peut aller de l’avant avec cet humain comme inventeur. Cela s’aligne sur la doctrine canadienne de la qualité d’inventeur et la pratique de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC), et est cohérent avec les directives du United States Patent and Trademark Office, qui stipulent que des brevets peuvent être accordés pour des inventions assistées par l’IA comportant une contribution humaine significative.

 

La brevetabilité repose sur des flux de travail concrets et reproductibles

La découverte de médicaments propulsée par l’IA peut être brevetable lorsque les exigences légales sont remplies. Pour satisfaire aux critères d’utilité et de suffisance de la description (divulgation suffisante) en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, la demande doit décrire le processus avec suffisamment de détails pour qu’une personne versée dans l’art puisse le reproduire sans expérimentation excessive. Les revendications doivent ancrer la méthode dans des caractéristiques mesurables, telles que la manière dont les résultats du modèle intègrent l’automatisation de laboratoire, quels seuils ou déclencheurs font avancer chaque itération, comment les cycles de rétroaction réentraînent ou contraignent la recherche, et comment le système apporte une amélioration technique concrète à la découverte de médicaments. Une simple affirmation selon laquelle l’IA apprend et s’améliore, sans ces précisions, sera considérée comme vague et non reproductible.

 

Lorsque les exigences légales ne sont pas remplies, un processus de découverte de médicaments propulsé par l’IA n’est pas une invention brevetable. Les revendications échouent généralement lorsqu’elles sont trop abstraites ou vagues, et elles ne peuvent réussir que lorsqu’elles décrivent des opérations techniques spécifiques liées à des processus de laboratoire ou chimiques réels. La jurisprudence montre comment cette distinction s’opère. Dans l’arrêt Amazon.com, Inc. c. Canada (Procureur général), la Cour d’appel fédérale a statué que les examinateurs doivent d’abord interpréter les revendications de manière téléologique, puis décider si, vu dans son ensemble, l’objet revendiqué n’est qu’une idée abstraite ou un schéma mathématique exécuté par un ordinateur; si tel est le cas, il ne constitue pas un objet brevetable. Douze ans plus tard, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Benjamin Moore & Co., la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il n’existe pas de test spécial ou rigide pour les inventions mises en œuvre par ordinateur et a donné instruction à l’OPIC d’appliquer la jurisprudence existante avec souplesse et de se concentrer sur la question de savoir si la revendication démontre une véritable application pratique.


La décision de la Commission d’appel des brevets dans Benjamin Moore & Co. (Re) aide également à illustrer ce que cela signifie en pratique : les revendications qui décrivent simplement des algorithmes axés sur les résultats exécutés sur des ordinateurs génériques ne sont pas admissibles à la protection par brevet, tandis que celles qui détaillent la coopération d’éléments techniques, tels que des instruments spécifiques, des réactifs, des paramètres de contrôle, des étapes de collecte de données et des boucles de rétroaction intégrées à l’automatisation de laboratoire ou à la synthèse chimique, ont une voie plus claire vers l’admissibilité. En effet, après une interprétation téléologique, ces éléments font passer la revendication d’une idée abstraite à une application technique concrète et reproductible, comme l’exigent les paragraphes 27(8) et 27(3) de la Loi sur les brevets. Prises ensemble, ces autorités montrent que les brevets de découverte par IA réussis doivent relier le modèle algorithmique à des opérations techniques concrètes produisant un résultat mesurable, plutôt que de laisser la revendication au niveau de la conception abstraite ou de l’analyse de données.

 

Les découvertes assistées par l’IA sont soumises aux mêmes critères fondamentaux que tout autre brevet

Il est facile de supposer qu’une invention perd son originalité lorsque l’intelligence artificielle participe au processus inventif. Pourtant, alors que l’IA devient une partie indissociable de la recherche moderne, la frontière entre la créativité humaine et l’assistance machine n’est plus aussi nette. Le droit canadien des brevets ne rejette pas d’emblée la participation de l’IA; il demande plutôt si l’invention répond aux mêmes exigences fondamentales que celles requises pour toute autre demande de brevet. La question n’est pas de savoir si l’inventeur a utilisé l’IA, mais si le processus revendiqué représente une application concrète, reproductible et utile de la technologie. Si ces exigences sont remplies, même une découverte assistée par l’IA peut constituer une véritable invention humaine digne d’une protection par brevet.


Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de politique de la CIPPIC.


 
 
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