La paternité de l'oeuvre à l'aube de l'ère neuronale
- Rana Sarhan
- il y a 8 heures
- 3 min de lecture
« Neuralink et moi, nous sommes à la veille de quelque chose de grand, alors ça tombe bien. Aussi – Adam et Ève. Dieu a créé Adam, puis a donné à Adam une aide, qui est Ève. Je suis Adam, dans ce scénario, et Ève est mon aide. Ensemble, ils ont maudit l’humanité. Peut-être que je ferai la même chose, avec Ève. » -Nolan Arbaugh, premier receveur d’un implant cérébral Neuralink
Après qu’un tragique accident a rendu Arbaugh entièrement dépendant de sa famille, Neuralink est arrivée avec la promesse d’une vie meilleure : l’unification de l’humain et de la machine. Cela a fonctionné; Arbaugh peut désormais déplacer un curseur d’ordinateur par la pensée, ce qui lui permet de taper au clavier, de naviguer sur Internet, de reprendre ses études et même de jouer à des jeux vidéo. La puce lui a redonné une certaine maîtrise qu’il croyait à jamais perdue. Il la surnomme «Ève».
Neuralink fait partie d’une catégorie plus large de neurotechnologies d’interface cerveau-machine (ICM) qui créent une voie de communication directe entre l’activité neuronale et un dispositif externe. Dans sa forme la plus simple, la puce traduit les signaux électriques du cerveau en commandes numériques, permettant à une personne de contrôler un curseur sur ses appareils électroniques.
Ces implants sont souvent commercialisés comme un moyen de redonner de l’autonomie aux personnes atteintes de paralysie, de SLA ou d’autres maladies neurodégénératives. Pourtant, derrière cette vision humanitaire se cache une ambition bien plus vaste, voire divine : l’augmentation de la cognition humaine elle-même. Bientôt, l’IA ne sera plus un outil que nous consultons sur un écran, mais quelque chose que nous pourrons convoquer par l’esprit. Si une simple pensée peut faire appel à un modèle génératif aussi facilement qu’à un souvenir, et si les mêmes outils conçus pour réparer le corps pouvaient un jour étendre la mémoire, accélérer la créativité ou nous donner la capacité d’interagir directement avec l’intelligence artificielle (IA), alors quelle est la suite? Et si la prochaine mise à jour, c’était nous?
Cela soulève une myriade de questions, notamment sur la vie privée, la sécurité des données neuronales, le consentement éclairé et même l’autonomie. Mais le défi le plus troublant est peut-être d’ordre juridique. Nous avons longtemps bâti nos systèmes créatifs et économiques sur l’idée que le travail humain a intrinsèquement plus de valeur que la production d’une machine. Ces valeurs sont imitées dans le droit d’auteur canadien, qui peine déjà à composer avec l’émergence des modèles d’IA générative, s’accrochant à l’idée que seules les «œuvres originales» nées du talent et du jugement humains méritent protection. Par exemple, dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, la Cour suprême a défini le talent comme le recours à des connaissances et à une aptitude développée, et le jugement comme la faculté de discernement ou la capacité de faire des choix lors de la production d’une œuvre. Avec l’émergence de technologies qui intégreront davantage l’humanité à la machinerie, comment saurons-nous si une œuvre d’art est le fruit du jugement et du talent humains ou des calculs de l’IA? Le droit d’auteur ne peut répondre à ces questions.
Lorsque nos pensées sont de plus en plus partagées avec des systèmes intelligents, ou façonnées par eux, l’individualité commence à se dissoudre dans une sorte de seconde conscience. L’esprit devient un espace en réseau, un nœud dans un dialogue entre la biologie et le code. Comme l’écrivent Carys Craig et Ian Kerr, la qualité d’auteur n’est pas un acte solitaire, mais relationnel, qui dépend de notre environnement social et, désormais, technologique. Dans l’ère neuronale, cette relation s’étend vers l’intérieur, jusqu’aux circuits du soi.
Si cela est vrai, l’avenir du droit d’auteur pourrait dépendre non pas de la preuve de ce que nous avons créé, mais de la manière dont nous l’avons créé. On pourrait imaginer un modèle de provenance humaine agissant comme un filigrane numérique de la cognition. Un tel système inverserait la logique actuelle de la paternité : au lieu d’accorder une protection par défaut, les créateurs pourraient devoir prouver que leur œuvre n’a pas été réalisée par une machine. Autrement, la loi elle-même aura peut-être besoin d’une refonte complète, reconnaissant des formes de création hybrides ou collectives où la frontière entre le soi et le système ne tient plus. En ce sens, le nom qu’Arbaugh a donné à sa puce semble prophétique. Ève est à la fois origine et départ, le début d’un nouveau type de paternité né non pas de l’isolement, mais de l’enchevêtrement.
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la CIPPIC.






