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La Cour suprême refuse l’autorisation d’appel concernant l’utilisation de sextos comme preuve de consentement

La Cour suprême du Canada a refusé d’accorder l’autorisation d’appel dans l’affaire R. c. Reimer – une décision de la Cour d’appel de l’Ontario qui a permis à un accusé d’utiliser des messages à caractère sexuel antérieurs comme preuve de consentement dans un procès pour agression sexuelle.


Faits et historique judiciaire

 

Jeffery Reimer et la plaignante se sont rencontrés par l’entremise d’une application de rencontre populaire. Après avoir été jumelés sur l’application, M. Reimer et la plaignante ont échangé une série de messages textes, y compris certains messages à caractère sexuel, ou « sextos ». M. Reimer et la plaignante se sont par la suite rencontrés en personne et ont eu une activité sexuelle. Après leur rencontre, des messages textes sur le téléphone de la plaignante ont été supprimés à son insu. Certains des messages ont été récupérés et utilisés comme preuve au procès.

 

Après leur rencontre, la plaignante a allégué que M. Reimer l’avait séquestrée, contrainte et agressée sexuellement. M. Reimer a soutenu que leurs relations sexuelles étaient consensuelles et conformes aux plans dont la paire avait discuté dans les messages textes échangés avant leur rencontre.

 

M. Reimer a été accusé et reconnu coupable d’agression sexuelle armée, de séquestration et d’extorsion. Les deux parties ont convenu que les messages textes récupérés qui n’étaient pas à caractère sexuel pouvaient être admis en preuve. Cependant, M. Reimer a également cherché à inclure les messages à caractère sexuel, arguant qu’ils étaient indicatifs de l’intention des parties de s’engager dans une activité sexuelle. Le juge de première instance a exclu les messages, statuant qu’ils étaient inadmissibles en vertu de l’article 276 du Code criminel.

 

Bref aperçu de l’article 276

 

Avant que les « lois sur la protection des victimes de viol » ne soient promulguées au Canada en 1982, l’historique sexuel d’une plaignante pouvait être discuté et servir de preuve dans les procès pour agression sexuelle. L’article 276 du Code criminel agit comme une première ligne de défense pour protéger la réputation et la dignité des plaignants dans les cas d’agression sexuelle. En vertu de l’article 276, l’historique sexuel antérieur d’un plaignant ne peut être utilisé pour miner sa crédibilité ou comme preuve de consentement.

 

L’article 276 codifie le principe des « mythes jumeaux », minimisant le fardeau et la stigmatisation auxquels les victimes d’agression sexuelle font face lorsqu’elles portent plainte. Les « mythes jumeaux » font référence à la fausse croyance selon laquelle une activité sexuelle antérieure rend la plaignante plus susceptible d’avoir consenti à un acte sexuel ou moins digne de foi.

 

Malgré l’étendue de l’article 276, il ne s’agit pas d’une interdiction totale de toute preuve d’activité sexuelle antérieure. L’activité sexuelle antérieure peut toujours être admise en preuve au procès si elle implique des cas spécifiques d’activité sexuelle, si elle est pertinente ou si elle a une valeur probante significative dans l’affaire qui l’emporte sur le risque de préjudice pour la plaignante.

 

Décision de la Cour d’appel

 

À la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Paciocco, avec l’accord des juges Simmons et Hourigan, a annulé la condamnation de M. Reimer et ordonné un nouveau procès. Dans ses motifs, la Cour d’appel a conclu qu’au moins certains des messages textes à caractère sexuel échangés entre M. Reimer et la plaignante étaient pertinents pour déterminer si le consentement avait été donné et ne violaient pas la règle selon laquelle le consentement doit être simultané.

 

Le juge Paciocco s’est appuyé sur une exception à la règle du ouï-dire qui admet les déclarations d’intention actuelle comme preuve que le locuteur a par la suite réalisé cette intention. Puisque les gens donnent souvent suite à leurs intentions déclarées, et que les messages textes illustraient les actes sexuels auxquels se sont livrés M. Reimer et la plaignante, la Cour les a jugés pertinents pour la question de savoir si la plaignante avait consenti.

 

La Cour d’appel a adopté la position selon laquelle cette analyse respecte la règle de la simultanéité (qui soutient que le consentement doit être donné au moment de l’attouchement sexuel) parce qu’elle reconnaît que les messages, en eux-mêmes, ne sont pas déterminants du consentement. Au contraire, lorsque des paroles ou des actions antérieures appuient la probabilité que la plaignante ait consenti au moment de l’activité sexuelle, ils ne sont pas non pertinents en vertu de la règle de la simultanéité.

 

La Cour d’appel a réitéré que l’article 276 ne vise pas à exclure toute communication sexuelle antérieure de l’admission en preuve. L’objectif de l’article 276 est plutôt d’empêcher l’utilisation abusive de communications sexuelles antérieures pour nuire à la réputation de la plaignante. Dans cette affaire, les messages n’ont pas été présentés en preuve pour suggérer que la plaignante était plus susceptible d’avoir consenti en raison de son historique sexuel. Les messages ont plutôt été utilisés pour démontrer son état d’esprit et ses intentions menant à la rencontre entre M. Reimer et la plaignante.

 

Le juge Paciocco a également conclu que l’exclusion de ce type de preuve peut miner l’équité d’un procès, surtout lorsque les messages touchent directement une question clé telle que le consentement. La décision a souligné que chaque cas doit être analysé avec soin, en considérant l’objectif spécifique pour lequel la preuve est présentée.

 

Implications pour l’avenir

 

L’arrêt Reimer met en lumière un fossé cognitif entre la compréhension judiciaire des messages textes sexuellement explicites et le rôle qu’ils jouent dans la délimitation du consentement. Bien que la décision cherche à équilibrer l’équité envers l’accusé et la protection des plaignants, elle soulève des questions quant à savoir si l’équilibre n’a pas trop penché d’un côté.

 

Comme l’a souligné Elaine Craig, les femmes et les hommes interprètent différemment le sextage et la probabilité de s’engager dans les activités sexuelles suggérées dans leurs messages textes. En fait, la recherche indique qu’un grand pourcentage de personnes n’ont aucune intention de donner suite aux activités explicites décrites dans leurs sextos. Cette affirmation est particulièrement pertinente dans le contexte de femmes qui échangent des sextos avec des inconnus, comme c’était le cas dans l’affaire Reimer.

 

Dans l’état actuel des choses, l’arrêt Reimer ouvre la porte à l’utilisation du sextage préalable à l’agression d’une manière qui renforce involontairement les mythes que l’article 276 visait à éliminer. Même si des messages antérieurs sont utilisés à des fins légitimes, comme pour démontrer des « plans » ou un « état d’esprit », leur admission risque de déplacer l’attention des procès de la seule question qui devrait compter : la plaignante a-t-elle consenti au moment de la rencontre?

 

Pour l’avenir, la perspective de voir des communications numériques privées scrutées en cour pourrait dissuader les victimes d’agression de se manifester, ajoutant aux obstacles systémiques auxquels les plaignants font face lorsqu’ils signalent une agression sexuelle. Qu’une victime se soit livrée à une messagerie sexuelle avant son agression ou non, le consentement doit être spécifique, continu et révocable. Le choix d’une plaignante de s’engager dans une activité sexuelle ne peut être déduit de messages envoyés des heures ou des jours plus tôt, aussi explicites soient-ils.

 

L’affaire Reimer démontre les dangers du consentement et de l’expression numériques. Puisque la Cour suprême a rejeté l’appel, il appartient aux tribunaux inférieurs et aux praticiens de protéger les victimes contre la surveillance et le contrôle excessifs de leurs communications privées. Le sextage est nuancé et ne constitue pas un contrat sexuel. Le consentement est toujours fluide, peu importe la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Reimer. Dans le contexte des relations médiatisées par la technologie, il est important de comprendre les limites du consentement virtuel jusqu’à ce que la loi évolue pour refléter la réalité.


Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de politique de la CIPPIC.

 
 
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